Mustapha Azeroual : Matérialité et Lumière

Episode 1
1:04:15

À propos de ce podcast:

Mustapha Azeroual est artiste, photographe, installateur. La lumière et ses spectres colorés sont l’un de ses sujets essentiels. Utilisant des procédés anciens, collaborant avec des scientifiques, ses images relèvent d’une abstraction dont la matérialité des supports, fait partie de ses recherches expérimentales. Parallèlement, il produit des formes sculpturales, des installations, où la photographie questionne son potentiel d’extension à d’autres disciplines artistiques. Alors quels liens entretiennent ici matérialité et lumière ?

Site web de l’artiste : http://www.azeroualmustapha.com

Actin, 2020. Photogramme à la gomme bichromatée © Mustapha Azeroual Monade, 2020. Photogramme à la gomme bichromatée. © Mustapha Azeroual Radiance #6, 2019. Support lenticulaire © Mustapha Azeroual The Third Image, 2017 © Mustapha Azeroual & Sara Naim The Third Image, 2017 © Mustapha Azeroual & Sara Naim Radiance. Vue d'exposition à la galerie Mariane Ibrahim, 2016 Echo#1, 2015. Daguerreotype contemporain, œuvre unique © Mustapha Azeroual Echo#1, 2015. Négatif papier © Mustapha Azeroual Radiance #2, 2014. Image extraite du lenticulaire © Mustapha Azeroual Resurgence, 2008. Tirage argentique noir et blanc © Mustapha Azeroual Resurgence, 2008. Vie d'exposition La Capsule, Le Bourget.

Quelques pistes pour aller plus loin …

G.W Leibnitz, Monadologie, (1714).
Alois Riegl, L’industrie d’art romaine tardive, (1901), trad. M Weber, S Yersin Legrand, éd. Macula 2014.
Vasco Ronchi, Histoire de la lumière, trad. J. Taton, éd. A. Colin, 1956
Jacques Derrida, De la grammatologie, éd. de Minuit,1967,
Ugo Mulas, Fotografo (1928-1973), catalogue d’exposition, Musée Rath de Genève-Kunsthaus de Zürich, éd. Musée d’art et d’histoire de Genève, Fondation Suisse pour la photographie.1984.
Gilles Deleuze, Francis Bacon. Logique de la sensation, éd. de la Différence, 1980.
Gilles Deleuze – Félix Guattari, Capitalisme et Schizophrénie 1, Mille Plateaux, éd. de Minuit, 1980.
Vilém Flusser, Pour une philosophie de la photographie, trad, J.Mouchard, éd. Circé, 1996.

Chapitrage

01:10
Présentation – Lumière et exploration du médium
06:24
Objets autonomes – Dimension sculpturale - Résurgence
11:40
Déconstruction - Expérience de la couleur - Tirage lenticulaire - Radiance
20:51
Photographier la lumière – Archéologie du soleil - Echo
29:52
Supports et procédés - Phenomenon
35:28
Le toucher du sensible - Monades
43:17
Arts – Sciences - Ellios – expérience sensible de la lumière
52:34
Projet Supplementary – le signal de l’argent – résonnance polysensorielle
58:57
Fuir « l’image redondante » - produire des phénomènes –
1:02:07
fin

Extraits:

M.D :
Deux formes de matérialités – lumière et exploration du médium -photographique semblent être en jeu dans votre travail Votre première série Résurgence (2011) semblait déjà contenir une grande part de ce qui allait traverser votre travail …
M.A :
La série Résurgences est un travail entamé en 2011… J’abordais la photographie dans une variété de formes … dans une dimension sculpturale. Il était important de déployer les enjeux de cette réflexion qui avait pour point de départ un travail sur le motif de l’arbre et la déconstruction de ce motif. Pour moi, la photographie était assez limitée et avait besoin d’avoir des perspectives un peu plus élargies par d’autres médiums.
 La question de l’expérience sensible de la prise de vue est quelque chose dont je souhaite m’éloigner …Je ne souhaite pas documenter quelque chose de manière directe… La photographie argentique, ancienne, avec des procédés de la gomme bichromatée, était un mode de production sculpturale… l’image apparaît par recouvrement, par variations d’épaisseur à la surface du papier ou de la pellicule…
M.D :
Vous vous consacrez à la photographie et en particulier à une approche analytique, quasi de déconstruction du médium photographique. Il me semble que certaines de vos séries, retrouvent plus précisément ces questions et ces doutes par rapport à la restitution du réel, et en particulier de la couleur (série Radiance)
M.A :
Dans une démarche expérimentale, ce n’est pas tant l’accident que je recherche mais la maîtrise ou l’intuition d’un évènement qui pourrait devenir créateur. Dans la déconstruction, il y a plusieurs enjeux en lien avec ma pratique, proche d’un rapport à l’art. Il y a l’expérience sensible… sans cesse renouvelée… Il y a la notion de lecture à rebours… Les œuvres les plus significatives [par rapport au déconstructionnisme] sont les tirages lenticulaires de la série (Radiance)… des inventaires de lumière. Le photographe n’a pas de maîtrise sur les couleurs qu’il enregistre ou qu’il restitue. J’ai enregistré des couleurs purement photographiques. Il s’agit de produire une photographie qui n’a pas d’autre existence que sur la pellicule. Le lenticulaire permet de créer une expérience de la couleur à partir d’une série d’images.
M.D :
En photographie, la lumière est la matière essentielle qui permet de rendre visible ce qui est invisible et qui participe à l’apparition de l’image… vous voulez aussi « photographier la lumière »… révéler la matérialité même de la lumière… (Série Echos)
M.A :
La lumière qui rend visible les choses qui ne sont pas visibles replace l’homme face à son impuissance, aux limites de sa perception.
Le sensible dépasse le visible et passe par ailleurs… c’est en cela que la photo m’intéresse… elle a la capacité à capturer l’invisible. Le daguerréotype : procédé [qui] permet de garder la question sur ce que l’on est en train de regarder  … Le daguerréotype contient le positif et le négatif, la lumière et son émetteur.
M.D :
Quel est le rôle des supports des procédés (anciens ou non) photographiques ? (série Phénomènum)
M.A :
Chaque procédé est porteur de sens. Ces spécificités sont porteuses d’enjeux contemporains de la photographie. L’hypothèse était que depuis l’invention du numérique l’on n’a jamais eu autant de supports d’impression… pour pallier à un manque d’épaisseur… Avec le numérique on est passé d’un mode de représentation sculpturale en argentique … à un mode de représentation plate… Il y a un rapport différent à l’image entre l’image pré-numérique et l’image numérique. En croisant d’autres supports, en les transposant sur d’autres supports, en travaillant sur la capacité du support à générer de la forme dans une dimension sculpturale, cela m’a permis de revaloriser et d’utiliser des images sans intérêt… Il y a un questionnement sur ce qui anticipe l’image…
En quoi un procédé plus qu’un autre va apporter une dimension esthétique ?
M.D :
Face à vos photographies, on est devant un espace sensible offert à un certain toucher de la vue…… l’haptique, ( Alois Riegl en 1901), puis Gilles Deleuze (Logique de la sensation ( 1981) : « L’haptique, du verbe grec aptô (toucher), ne désigne pas une relation extrinsèque de l’œil au toucher, mais une “possibilité du regard”, un type de vision distinct de l’optique ».
M.A :
L’idée de « possibilité du regard »… entre en adéquation avec ce que j’entreprends dans mon rapport à la photographie. L’haptique … s’applique à ce qui dépasse la vision. La notion du sensible se situerait par-delà du visible. Le rapport à l’œuvre passe par le médium de la perception. La photographie est un médium pauvre comparé à la vidéo, ou à l’installation … c’est en cela que le questionnement du photographique plutôt que de la photographie m’intéresse. Je ressens le besoin de déployer les formes.… de travailler sur l’unicité de la photographie. Le travail de l’invisible me permet de me confronter à la matérialité de la lumière… ce sont des œuvres chargées et constituées de l’invisible et vouées à diffuser la lumière qui leur a donné naissance.
M.D :
Penser la lumière en photographie quitte à en devenir le sismographe au-delà même de l’archéologue… Quelle est cette relation entre arts et sciences ... comment fait-elle lien avec le sensible, avec la question de la perception…
M.A :
Le rapport à la science m’a donné des clés de langage. Le premier projet scientifique est le projet Helios (anagramme du soleil.) … Le rapport qu’entretient l’observation du soleil et la photographie m’ a intéressé. J’ai considéré cela comme un geste poétique : celui de surveiller ce qui rend visible le monde… Je tente de créer une expérience sensible de la lumière… Ce qui semble magique dans notre rapport à l’invisible et à la lumière, c’est le potentiel d’émerveillement, c’est la découverte de formes que l’on n’a jamais vues auparavant…
M.D :
Dans cette relation (projet) arts- sciences et notamment celui sur lequel vous travaillez en ce moment avec l’université de Strasbourg et le CNRS.…il semble que vous y abordez… cette possibilité de traduction par l’image d’autres modes sensibles [dont] les vibrations sonores ? … pourrait -on parler de « son de la photographie » ?
M.A :
Le projet Supplementary element, avec l’université de Strasbourg a été l’objet d’une commande sur les nouveaux modes de production de l’image. Le signal - obtenu après le déplacement d’une molécule sur un support d’argent (et à partir duquel j’ai travaillé) - m’a été donné par un scientifique du CNRS. Il est donc la traduction sonore de la rugosité de l’argent. Ainsi j’ai fait le lien entre la rugosité de l’argent et la matérialité de la photographie argentique. J’ai voulu créer une expérience immersive qui vient questionner du sonore, du visuel, du lumineux : créer une résonnance polysensorielle.
M.D :
Derrière votre projet artistique qui s’organise autour de ces deux matérialités : lumière et exploration du médium photographique, y – a – t-il un engagement social, politique, critique par rapport aux flux de tant d’images aujourd’hui, vous qui en produisez peu …
M.A :
Oui, une dimension politique. J’utilise la photo pour sa capacité à créer des phénomènes, des œuvres autonomes qui ont perdu tout référent photographique. Mes photographies naissent d’un processus long, complexe, qui brouille les pistes mais qui vont faire œuvre… tentant de faire des œuvres en retrait, qui ne s’imposent pas. Je trouve que la photographie s’impose trop avec cette hyper circulation. Cette hyper visibilité des images est presque ostentatoire. Ma pratique ne questionne pas la même chose Pour moi… la photographie reste un moyen, un médium.

Auteur:

Auteure :
Michelle Debat

Critique d’art, membre de l’AICA - France, professeur des universités, théoricienne de la photographie et de l’art contemporain. Elle a notamment publié son autoportrait théorique en photographie et art contemporain, La photographie : essai pour un art indisciplinable. éd. PUV. 2020.

Type at least 1 character to search
Série de conversations entre une théoricienne de l’art et un.e artiste contemporain.e


Des podcasts entre livre audio et essai critique

Des conversations entre une théoricienne de l’art et un.e artiste contemporain.e

Des questions, des réflexions, des contradictions… à propos ce qui se fait, de ce qui se montre, de ce qui s’entend et se dit, dans l’art d’aujourd’hui

Des œuvres actuelles d’ici et d’ ailleurs

Bref,

De la voix, du langage, des images… et de la pensée

Tout ce qui accompagne des acte(s) d’art(s) Pour le plus grand nombre de curieux

Michelle Debat – professeur des universités et critique d’art AICA https://epha.univ-paris8.fr


Avec le soutien du laboratoire de recherche AI-AC (Arts des images - Art contemporain) de l’université de Paris 8

Podcasts disponibles sur