Raphaël Dallaporta – Matérialité et Mécanique

M-D :

Raphaël Dallaporta, … [en tant que photographe] une part de la pratique documentaire va résister dans votre démarche avec un intérêt pour le « jamais vu ainsi », pour ce qui « advient », pour ce qui est questionné… Mais ce qui est en jeu aussi dans votre pratique[c’est de]travailler avec les autres... « Mécaniques » à l’œuvre…

R-D :

Je parle souvent d’influence … J’aime bien me mettre sous influence de… Avec la conviction de faire quelque chose pour… [pour la série Antipersonnel (2004)] … L’objet [la mine] parle pour l’objet du problème… pas de volonté esthétique … mais j’ai été rattrapé par l’esthétique de ces objets… L’esthétique était comme une surprise car j’ai fait ces photos avec une conviction documentaire … [ma]manière de fonctionner… faire des rencontres, choisir des personnes, rester sous leur influence … et garder ces influences au cœur des décisions

M-D :

Autre grande série, « Ruins »(2010), emblématique de votre démarche toujours en tension, en collaboration, avec « une » mécanique ( celle des objets technologiques … [ici]le drone ....) mais aussi une mécanique complexe et plurielle définissant même ce que l’on peut nommer « nouvelles matérialités »…

R-D  :

Premier projet en numérique… J’ai changé de trépied pour un instrument à hélice …  L’idée du drone est venue des contraintes de terrain qu’avaient les archéologues… je suis parti en Afghanistan sans avoir pensé une seule fois à un projet … je me suis mis au service… au final j’ai choisi l’automatisation comme mot d’ordre … je recherche ces sensations de vol… images flottantes … basculement du regard, pertes de repères et en même temps offrir un geste de documentation de sites … et même s’il y a un changement d’échelle… cela m’a permis de garder cette automatisation de la prise de vue au tirage final…

M-D :

Suite de tirages découpés… cela vient d’un automatisme  technologique

R-D  :

Quand on dit « découpe » en photo, on pense à un recadrage … ce n’est pas soustractif, c’est additif … et dans ce rapport additif, il y a ces franges qui sont numériques comme pixellisées… je gardais le bord numérique de ces assemblages pour montrer qu’il n’y avait pas de dimension humaine… on était dans le regard..

M-D :

Autre grande série « Chauvet – Pont d’Arc, L’inappropriable »(2016) … où vous allez travailler avec une autre contrainte : la grotte- lieu inaccessible… vous avez …délester à une autre mécanique « un robot »[le fait de faire des images] et de faire voir autrement [sorte d’origami préhistorique]

R-D  :

Avant d’être spatiales, mes contraintes étaient temporelles … Besoin de remédier à un robot répondait au besoin non pas de faire des photographies mais de voir la grotte. Le robot m’a permis en deux heures de faire des enregistrements photo mais surtout de profiter … de l’obscurité, du silence, des ornements sur les parois… et c’est ce que j’ai vu pendant ce temps-là, que j’ai essayé de retranscrire… ce robot m’a permis d’avoir des émotions autres que photographiques … [et de] faire des rituels avec l’image.

M-D :

Exposition « Ventre » (2019] Objet, photo, installation, déambulation, (selon) des trajectoires … passage du terrestre au cosmique..

R-D  :

Volonté de faire dialoguer deux choses… dans mon obsession de questionner l’idée de progrès …On a mis deux évènements en dialogue (la préhistoire et ces 25 années qui ont vu la création des fusées qui nous ont propulsés sur la lune…par des dialogues d’images, de répliques, de fragments et aussi par cette déambulation [en jouant] du contexte du lieu d’exposition.

M-D :

Deux termes importants pour vous… Le Progrès et Le temps/ La mécanique des horloges… Mécanique qui essaie de saisir, d’arrêter… de maitriser le temps ?… trajectoire lumineuse … trajectoire d’espace-temps …temps d’une mécanique de l’horloge du M Age [reconstruite] « Astrarium » (2020)

R-D  :

« Astrarium – Dondi » permettait de figurer un mouvement qu’ont les planètes.. en observant le ciel, les planètes (astres errants) ont des mouvements qui ne sont pas linéaires… boucles de rétrogradation comme autre manière  de figurer ce que peut être notre progrès humain .. révéler par des longs temps de pose une signature par la lumière de ce mouvement rétrograde des planètes ..

M-D :

« Covariance » (2015)…on retrouve ce qui est du temps, de la variance, de l’immatériel, de la modulation… série emblématique de votre mécanique de création… entre équation mathématique prise comme matérialité contemporaine et données informatiques

R-D  :

La fonction statistique « covariance » est un objet mathématique qui est issu d’une fonction et qui est modélisable en 3D … L’objet (mathématique) est tellement riche en détails qu’il conduit à une forme nébuleuse à un nuage…. là je quitte la photographie (c’est un projet cameraless, sans camera, issu directement de logiciel et je me sens une responsabilité de fixer sur papier cette illusion de nuage, d’utiliser un procédé photo…(Cyanotype et Platine)… Covariance permet de tromper le regardeur, d’avoir une émotion détournée mais qui nous conduit à voir une élégance certaine : celle des mathématiques.

M-D :

« Equation du temps » (2020).. …avec cette projection [lumineuse] qui va être photographiée par vous… relevée régulièrement à l’observatoire de Paris… donner à voir la trace du signe de l’infini… Un signe mathématique comme image invalidant un protocole photographique mis en place…  une autre matérialité pour penser la mécanique des astres, ici du soleil !

R-D  :

Rencontre avec ceux qui fabriquent le temps en France notamment à l’Observatoire de Paris … J’ai observé l’image du soleil traversée la salle Casini dans laquelle il y a tracé le méridien de Paris … est ce que l’on pourrait trouver un moyen de figurer la figure que forme le soleil si on la photographie chaque jour à la même heure ?... d’où la trajectoire en huit du signe d’ infini… [puis] tracés des simulations…avec des projections à plusieurs années dans le passé ou dans le futur et entre ces deux dessins, mettre la valeur de l’équation du temps du moment… [ensuite] temps d’échange, de partage, de dialogue… entre l’artiste et le visiteur…

M-D :

« Sculptures de courants -d’air » (2022… vous avez activé une hélice mais on ne la voit plus… on est toujours avec le temps … pour s’envoler, pour être une mécanique qui va être en survol… suite de ce qui est in- photographiable car immatériel…

R-D  :

Il y a quelque chose de l’ordre de pré photographique… je suis attaché à la photographie, mais j’aime bien ne pas la limiter à des procédés qui existent déjà, j’aime bien en inventer… j’avais envie de réaliser des choses dans des lieux auxquels je suis attaché, mais sans les révéler … hélice très légère, sensible au moindre mouvement d’air … moments de légèreté, de plénitude que j’essaie de capter et la photo ne me semblait pas être juste pour çà … Cette double lecture que l’on peut avoir avec les images, je la donne à un objet.

M-D :

différentes mécaniques à l’œuvre dans votre travail, [dont]celle que vous travaillez ponctuellement autour du langage, du jeu)… ce « frontispice » créé pour la nouvelle école de photo d’Arles, où vous avez joué avec et à partir de l’anagramme du mot « éblouir »/ « oublier ».. (2019) ou , [au sol], dans la rotonde de l’INHA à Paris «  Prédire/ Dépérir »

R-D  :

[Pour l’ENSP d’Arles] « éblouir » et « oublier »… synthétiser et interroger ce qu’était la photo depuis son origine et son avenir.. A L’INHA Paris, « prédire » et « dépérir » intervention sur le sol ( par rapport à la sculpture « Euridyce » qui vient de réaliser qu’elle va mourir !

M-D :

Mécanique du temps qui passe par le mot…

R-D  :

[Mécanique] des jeux de mots : c’est une belle libération…