À propos de ce podcast:
Joan Fontcuberta, né à Barcelone dans l’après franquisme, est photographe, théoricien, enseignant, commissaire d’exposition. Son œuvre prolifique est aujourd’hui de notoriété internationale. Elle a été couronnée par de prestigieux prix internationaux dont le titre le plus honorifique attribué par l’université française : le doctorat honoris causa en Art de l’université de Paris 8 (mars 2022). Mais depuis ses premières œuvres datant de la fin des années 1970, Joan Fontcuberta, n’a de cesse de nous interroger sur les mensonges de l’image, jusqu’à nous apprendre la lucidité du doute devant tant de vrais mensonges ou de fausses vérités. Revisitant les domaines de la connaissance, travaillant avec les toutes dernières technologies de l’image et données algorithmiques, il nourrit son œuvre (photographies, installations muséales, ouvrages théoriques) de questionnements autant historiques que contemporains où le jeu de la véracité est pris au piège du savoir et du voir, et encore plus du vraisemblable et du probable.
Les murs ont des oreilles), 1974, courtoisie de l’artiste
Courtoisie de l’artiste
D -24º 33', 1993,courtoisie de l’artiste.
Quelques pistes pour aller plus loin …
Barthes Roland, La chambre Claire. Note sur la photographie, Cahiers du cinéma -Gallimard – Seuil, 1980.
Baudrillard Jean, Le crime parfait, Galilée, 1995.
Borges Jorge-Luis, L’Aleph, trad R. Caillois – R. L.-F Durand, Gallimard, 1967.
Cauquelin Anne, Le site et le paysage, PUF, 2002.
La boîte de Pandore, une autre photographie par Jan Dibbets, catalogue d’exposition, Paris, MAM, 2016.
Daston Lorraine, Galisson Peter, Objectivité, trad, Renaut S, Quiniuo H, les presses du réel, 2012.
Eco Umberto, Lector in Fabula, le rôle du lecteur, trad, M. Bouzaher, Grasset, 1985.
Flusser Vilém, La Civilisation des médias, trad. Cl. Maillard, Circé, 2006.
Guérin Michel, « Ce qui fait image. Rythmes et régimes de la croyance » in M.Debat-P.L Roubert, Quand l’image agit ! A partir de l’action photographique, éd .Filigranes, 2017.
Lascault Gilbert, Le monstre dans l’art occidental, un problème esthétique, Klincksieck, 1973.
Mc Luhan Marshall, Pour comprendre les médias, trad. J. Paré. Seuil, 1968.
Mersch Dieter, Théorie des Médias, Une Introduction [2004], trad. St. Baumann, Ph. Farah, Dijon, Les Presses du Réel, 2018.
Rosset Clément, Le réel et son double, Gallimard, 1976.
Schaeffer Jean Marie, Pourquoi la fiction? Seuil, 1999.
Terassa Jacques, Joan Fontcuberta / Perfida Imago. éd. Le temps qu’il fait, 2006.
Thély Nicolas, Le tournant numérique de l’esthétique, éd. publie.net 2012.
Extraits:
M-D
Question de matérialité qui rencontre chez vous une autre question, presque « identitaire » à votre démarche,… celle de véracité et une première véracité socio politique avec une matérialité spécifique de la photographie – le photomontage …J-F
Encore étudiant à l’époque du franquisme… je commençais à soupçonner qu’il y a toujours [avec la photographie] une certaine intention de construction et de faire passer la fiction pour le réel… si on montre que [derrière] la photographie, à laquelle le monde croit, il y a une construction , on peut déplacer ces mêmes constructions sur n’importe quel système autoritaire… J’ai concu un travail qui piègeait les spectateurs [en introduisant] des fictions crédibles…[en essayant] de faire découvrir aux spectateurs les petits pièges qu’il y a toujours dans les images.M-D
Faire passer la fiction pour le réel… intérêt pour une véracité à mettre en cause, à mettre en critique… et aussi l’aider en l’accompagnant d’un récit… Intérêt du récit pour « le bien mentir ».J-F
Le message de toute photographie n’est pas inhérent à sa constitution mais à ce que l’on pourrait appeler…son habitation… c’est la constellation avec d’autres éléments, d’autres images, de textes… qui arrive à déterminer un certain sens… Comme artiste critique, j’essaie de montrer comment on peut créer un détournement radical quand on produit une confusion des genres… Montrer à quel point les images sont ambigües, équivoques, çà dépend d’une certaine intention d’interprétation, d’une certaine volonté de lecture… de la part des spectateurs. Fouiller dans les archives [Projet Sputnik 90-96)… montrer aussi comment les archives essaient de contrôler la mémoire, l’histoire et sont aussi des dépôts, des informations, des données que l’on peut réinterpréter comme l’on veut… il faut nous donner la liberté pour jouer et faire une certaine métahistoire.M-D
Dénoncer ce qui se fait… retournement de la fiction dans la fiction… Rapport au jeu de rôle, au personnage, qui comme au théâtre… pouvait être une forme de libération…J-F
Il y a eu une démarche littéraire qui parfois a posé un dialectique entre l’auteur et le personnage… parfois le personnage a imposé des décisions à l’auteurM-D
Petit à petit : substitution auteur - personnage, intérêt pour d’autres domaines de discours d’autorité… domaines scientifiques… vous vous les réappropriez pour mettre en image, cette question critique de la non adéquation entre le voir et le savoirJ-F
L’auteur doit faire un pas de côté… laisser la place à l’œuvre… l’œuvre reste… le personnage est éphémère. (Projet Herbarium) j’essaie toujours de produire un procès épistémologique qui génère le soupçon… la première photographie.... on peut dire… peut-être… petit à petit il y a un crescendo… et à un moment le spectateur dit … « ceci n’est plus possible » … pourquoi on s’est arrêté ici… à quel point cela constitue un test de la crédibilité de chaque spectateur… quels éléments ont permis d’accepter une certaine information comme vrais … [alors] arrive un certain moment où on ne l’accepte plus… et on considère que c’est un faux … c’est un apprentissage pour chacun d’entre nous… apprendre à douter… le doute comme attitude intellectuelle pour nous mettre face à la réalité, face au monde.M-D
Générer le soupçon, nous faire apprendre à douter même si vous jouez avec cela.. avec « Fauna », … il y a une esthétique du monstrueux qui advient …. On l’accepte peut-être plus facilement parce que c’est du jeu…J-F
La monstruosité a joué un rôle important dans ma pensée… dans mon travail, soit la monstruosité biologique, mais aussi technologique, la monstruosité linguistique, la monstruosité politique. La monstruosité est un concept que l’on peut appliquer à n’importe quel autre domaine de notre vie.M-D
Aspect viral de l’image… il y a quelque chose de monstrueux aussi… que vs allez manipuler… falsifier… travailler pour qu’elles soient de nouvelles formes mensongères de véracitéJ-F
A chaque époque, à chaque circonstance correspond un régime de vérité différent… la vérité c’est essayer d’établir des rapports entre la représentation du réel et ce que l’on considère comme réel.. mais dans cette distance entre le réel et sa représentation il y a différents dispositifs de traduction… à quelle sorte de dispositif, on dépose notre confiance et pourquoi ? [Aujourd’hui], les logiciels [donnent] une certaine façon d’interpréter le réel qui se base sur des modèles mathématiques ou algorithmiques… on a toujours pensé que le réel devait se définir à partir de nos expériences, de la capacité sensorielle que l’on avait en tant qu’humain… et maintenant on commence à découvrir qu’il y a d’autres façons, beaucoup plus exactes qui dépassent nos capacités.M-D
On ne peut pas ignorer votre rapport à la pensée théorique, … à vos notions de Contre vision, contrenature (fin années 90 , votre ouvrage déjà « Le baiser de Judas- Photographie et vérité », puis années 2000, le post-photographique et le changement de régimes de véracité.J-F
Tendance à la dématérialisation des images … la photographie [n’a plus] de dimension haptique… on ne peut plus la toucher… çà implique une perte mais d’un autre côté çà donne des qualités différentes… il faut essayer de savoir ce que l’on perd, ce que l’on gagne.. en ce qui concerne la perte, il y a un certain flou en ce qui concerne la véracité… notre confiance, notre rapport à une image crédible s’éloigne… Aujourd’hui la photographie est en discrédit pour beaucoup de raisons… comment on a substitué des dispositifs pour vérifier des données ? [la nouvelle] façon de certifier le réel s’opère à travers du langage… C’est quoi l’intersection entre les domaines significatifs de l’image et les domaines significatifs de la parole…M-D
Vous arrivez à inventer des visages, vous parlez aussi d’agonie … il n’y a plus de support . .. il y a une agonie de l’identité… puisque l’on arrive à des images sans modèles ?J-F
L’algorithme nous donne déjà les images qui seraient pertinentes ;.. si on veut jouer de façon plus radicale , peut-être dans un futur prochain, les artistes, les conservateurs ne seront plus nécessaires… tout va se réduire à des algorithmes à qui on a appris… d’un côté c’est bouleversant et d’un autre côté…c’est peut-être la promesse d’un progrès de science fiction auquel on a commencé à s’ habituer.M-D
« le çà a été » n’est pas si photographique que çà ?J-F
J’aime bien spéculer sur « Qu’est-ce que Barthes penserait de Photoshop, des réseaux sociaux, des algorithmes… car tout son discours à la fin est un discours poétique et basé sur une fabrication des images précise.M-D
Est- ce que l’on peut encore spéculer sur ce « slogan » « Photo comme un miroir qui se souvient » (J Janin 1839/ Daguerréotype)J-F
Oui, la post-photographie n’est pas une négation de la photographie… Aujourd’hui on fait parfois des photos que l’on ne regarde, pas… C’est l’acte, c’est le geste qui compte… geste parfois de célébration… La photographie est devenue un langage, une interaction sociale beaucoup plus riche… nouvelle richesse de la photographie.Auteur:
Auteure :
Michelle Debat
Critique d’art, membre de l’AICA - France, professeur des universités, théoricienne de la photographie et de l’art contemporain. Elle a notamment publié son autoportrait théorique en photographie et art contemporain, La photographie : essai pour un art indisciplinable. éd. PUV. 2020.